Petite notice sur la musique contemporaine à l’usage de tous
(Pour ceux qui ne l’auraient pas encore eu ou lu)
(Pour ceux qui n’ont pas eu cette version augmentée)
L’humble dessein de ces quelques pages est d’essayer
de faire le point sur la musique contemporaine. Chaque aspect abordé devrait
être source à complément.
Commençons par donner une succincte définition de
cette musique.
C’est la résultante actuelle de la musique savante
qui a évolué au sein de l’occident et dont les origines s’identifient avec les
premiers chants de l’église chrétienne, eux-mêmes issus de trois grandes
traditions : celles orales du monde celtico-gaulois et du monde
judéo-chrétien, et celle du monde gréco-romain où une forme d’écrit est déjà
présente. La complexification du chant, le désir de transmission et la volonté
de reproduction fidèle, ont nécessité une transcription par écrit. Ce moyen va
permettre aux compositeurs qui cherchaient d’abord à élever l’âme de s’adresser
également à l’esprit. En effet, avec l’apparition des premières notations, une
construction et un développement élaborés du discours sont alors possibles.
Elle aboutit ainsi à un degré de complexité et un travail artistique qu’elle
n’aurait pu atteindre en ne se basant que sur une tradition orale.
Depuis ces premiers siècles, les compositeurs, grâce
à l’accumulation de tout un savoir qu’ils doivent apprendre et assimiler afin
de le perpétuer et parfois de le compléter, font ainsi se modifier, en précurseurs, le langage, l’écriture (de plus en plus
précise) et le parc instrumental (corrélativement aux luthiers) tout en s’imprégnant,
au fur et à mesure, des diverses musiques auxquelles ils peuvent avoir accès.
D’abord vocale, la musique savante emploie ensuite les instruments (sa
disposition à étudier lui permettant de s’approprier n’importe lesquels, même
les plus traditionnels), puis des objets dont elle intègre les sonorités, et
enfin invente l’utilisation musicale de l’électronique.
Comme leurs aînés, c’est de toute cette histoire,
cette tradition, ces moyens et ces théories que les compositeurs contemporains
se nourrissent, après les avoir étudiés pendant des dizaines d’années,
lorsqu’ils se lancent dans leur propre évolution. Les plus modernes se
retrouvent alors dans le domaine expérimental en concevant des matières, des
formes, des discours nouveaux, les post-modernes essaient d’épuiser le matériau
donné par le passé en l’éclairant sous d’autres angles, les autres utilisent et
développent ce qui a trait à leur époque.
Le XXème siècle, avec sa technique et sa science, a
donné accès, grâce aux fixations sur support audio et à l’électronique, au
travail sur le son lui-même. De même, les nouvelles grandes possibilités de
communication et ses recherches ethnomusicologies, ont permis aux compositeurs
de prendre connaissance de la plupart des musiques folkloriques et extra-occidentales,
et d’ouvrir de nouvelles voies aux recherches musicales. La musique savante,
par rapport aux autres musiques, n’étant pas fondée sur l’empirisme et, ne se
situant pas dans le lucratif, la renommée ou l’existentiel immédiat, mais dans
l’universalité et la durée, a ainsi un rôle de mémoire par l’intégration et
l’utilisation, conscientes et raisonnées, qu’elle peut faire de langages ou de
moyens compositionnels qui lui sont étrangers.
La musique savante se décompose aujourd’hui en
musique instrumentale, où seuls les instruments jouent, musique
électroacoustique, où seul un support audio est diffusé, et musique mixte où les deux se mêlent par
des procédés de superposition et/ou de transformation du son des instruments en
temps réel.
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Maintenant que voilà cette musique sommairement
décrite, quand est-il du terme à employer pour la nommer? Si nous suivons la
définition du dictionnaire Le Robert, qui dit que : « la musique
classique est la musique des grands auteurs de la tradition musicale occidentale
(opposé à folklorique, légère, de variété) », nous sommes amenés à appeler
celle composée aujourd’hui, musique classique contemporaine … un terme bien
long. De plus, la formule musique classique est relativement récente et découle
de la nécessité que la société du XXème siècle a eu de différentier
la musique des musiques dites populaires ou commerciales. Ceci renvoie alors à
l’appellation de musique savante, c'est-à-dire, par rapport aux autres
musiques, mais comme tous les arts, une musique qui a des connaissances
étendues et approfondies, et qui possède une science : ensemble bien
organisé de connaissances qui apportent un savoir-faire et une
habileté ; pratique qui nécessite des règles. Il semble cependant que
la dénomination musique savante soit plus inhérente au monde de la technique et
de la définition qu’au monde de l’esthétique. Or les arts, même si le fait,
seul, d’être savants leur permet justement de s’exprimer, et d’exprimer avec
conscience, extrême finesse, richesse dans l’expression et grande diversité, la
pensée et la volonté de leurs acteurs, ont aussi pour but de transcender l’être
et non de demeurer simples actes, si bien faits soient-il. Comme le dit
Hegel : « l’art occupe le milieu entre le sensible pur et la pensée
pure.» Autant l’œuvre se présente comme un objet offert aux sens, autant elle
vise le sens.
Nous voilà bien avancés.
Il faut alors remarquer que lorsque nous parlons,
dans les arts, de peinture, de littérature, de danse, de vidéo, de cinéma,
d’architecture, etc. la distinction d’avec les autres formes que recouvrent ces
termes (forme pratique, forme technique, forme industrielle, forme dilettante,
forme commerciale etc.) se fait naturellement, n’a aucun besoin d’être exprimée
et aucune prétention ne s’en échappe. Ne devrions-nous alors pas dire tout
simplement : en art nous sommes « la » musique !
Ceci en signifierait-il quelque chose pour
autant ?
Malheureusement non car, au contraire des autres arts
(sauf peut-être pour ceux relativement récents et donc encore peu connus, tel l’art
vidéo), dont le qualificatif de contemporain sert uniquement à apporter une
référence d’expression, c’est de la « musique » contemporaine
elle-même qu’on ne connaît pas l’existence. Effectivement, pour la plupart des
gens, la musique classique semble avoir disparu il y a à peu près un siècle… il
ne peut donc pas exister, pour eux, de musique contemporaine ! Parfois,
certains s’étonnent de ne réellement jamais en avoir entendu parler … bien
souvent la confondent-ils avec d’autres musiques! Ainsi, avant de la qualifier,
faut-il déjà savoir qu’elle existe toujours.
Il serait alors préférable, en premier lieu, de
chercher les raisons de cette méconnaissance … afin d’y remédier.
Nous pourrions émettre l’hypothèse que les langages
musicaux développés à partir du début du XXème siècle se sont
éloignés des affects recherchés par l’auditeur qui ne se serait, par
conséquent, plus retrouvé en eux et s’en serait détourné. Certes, le passage du
système tonal à un système non-tonal et l’introduction des sons non initialement
musicaux dans les pièces, apporta une
rude transformation qui, comme la peinture abstraite apparue à la même époque,
a mené la notion du beau bien loin de l’opinion courante. Il faut alors
rappeler que notre opinion, lorsque l’on ne connaît pas, confond souvent beau
et agréable. Or, seul dans le beau réside l’idée du goût, qui, comme tout
« sens », découle d’une éducation. C’est par elle qu’il s’affine et
s’émancipe en même tant que la culture s’accroît. Nous citerons alors
Kant pour qui « le goût rend pour ainsi dire possible, sans saut trop
brusque, le passage de l’attrait sensible à l’intérêt moral. » Ce sont
donc seulement les disciplines visant le sensible et l’intellect qui, par leurs
créations, font évoluer le beau et, par le dialogue qu’elles ont avec le monde,
forment le goût. Ainsi, de tous temps, la musique savante (et les arts en
général) s’est émancipée des appétences simplement émotionnelles. Elle faisait
alors aussi certainement réagir une partie de l’auditoire, sans que cela l’empêche
d’être connue et reconnue. Si la dépréciation était seule en cause, nous
pourrions en faire fi, mais il semble qu’il est nécessaire de chercher ailleurs
l’inconnaissance ou le désintéressement qui accable cette pauvre musique
contemporaine.
Quelle a été, pour la musique en général, la grande
révolution du XXème siècle… et qui s’accéléra après la seconde guerre mondiale.
L’enregistrement et avec lui l’écoute possible n’importe où, n’importe quand et
surtout n’importe comment. Jusque là, il fallait faire un effort (mettre
l’être, au deux sens du terme, en mouvement) pour se diriger vers les diverses
musiques, en se déplaçant dans une salle de concert, ou un
« dancing », ou bien savoir jouer d’un instrument, etc. De plus,
chaque forme était différenciée, par sa fonction ou par son lieu de
représentation. Maintenant, la plupart des musiques inonde notre quotidien,
entraînant une consommation qui banalise la perception et la recherche de
sensations simples, forçant au sédentarisme cérébral et inhibant le développement
profond de l’ouïe que nécessite la musique savante.
La société contemporaine a, d’autre part, développé
un grand nombre de classes et de groupes d’individus très différents qui
cherchent à exprimer leurs nouvelles identités en se tournant vers autant de
nouvelles musiques… et bien moins vers les autres disciplines du sensible. Cela
parce qu’il semble que la musique, intégrée à la vie de tous les jours, est le
mode d’expression le plus naturellement accessible et universel. En effet,
combien de personnes, lorsqu’elles se regroupent, se mettent à peindre, à
écrire, à filmer, etc. pour se sentir en affinité… ne préfèrent-elles pas
écouter ou jouer de la musique. Ceci peut s’expliquer par la nature même de
cette dernière. Le premier souci de l’homme pensant, outre de survivre, fut de
communiquer. Or, les hommes, après la parole, ont eu recours au son et enfin à
la musique, bien que n’apportant rien de sémantique, pour transmettre quelque
chose dans quoi ils se retrouvaient. Elle se mit à rythmer les activités de la
vie quotidienne, fut utilisée comme médium vers le divin, accompagna les
festivités ou eut un rôle fédérateur. Cependant, de ces obédiences, la musique
savante s’est affranchie pour répondre aux inductions hautement sensibles de
l’intellect. Car, comme le dit Hegel, « ces formes ou ces sons sensibles,
l’art les crée non pour eux-mêmes et tels qu’ils existent dans la réalité
immédiate, mais pour la satisfaction d’intérêts spirituels supérieurs. »
Elle se situe donc à part des autres musiques quant à sa fonction et son
fonctionnement. Ainsi, alors que s’effectuaient un élargissement de l’accès au
monde du plaisir sonore et une profusion de musique en tous genres, la musique
savante, qui, elle, ne s’accordait pas avec une telle émancipation facile,
commençât à disparaître de l’oreille des gens. En effet, la multiplication des
stations de radio et des « stockeurs d’écoute » ne se fait pas dans
le sens d’une musique complexe (qui d’ailleurs ne demeure pas fidèle dans les
formats compressés) nécessitant une écoute fine, consciente et soutenue.
D’autre part, les compositeurs, qui doivent assimiler leurs nombreuses et
longues études avant que leurs compositions soient présentables et originales,
et passer ensuite plusieurs mois pour écrire une pièce, n’existent qu’en nombre
restreint et ne pourraient, avec la rigueur, la qualité et la richesse de
langage que la musique savante nécessite, faire face productivement à autant de
consommable.
A tout ceci, ajoutons une accessibilité de plus en
plus grande aux technologies électroniques et informatiques qui permettent de
construire un produit, chez soi, sans forcement avoir de grandes connaissances
musicales. On peut d’ailleurs re-remarquer que c’est la musique savante qui a
inventé l’utilisation sonore de ces techniques qu’elle développe depuis la
première moitié du XXème siècle (notamment sous le nom de musique concrète,
musique électronique, puis, en associant les deux, musique électroacoustique),
Néanmoins, certains de ces « produits faits chez soi » sont parfois
recherchés, riches et complexes, toutes proportions gardées en regard de leur
aîné savant. Ils pourront s’appeler musique expérimentale, car procédant d’un
travail plutôt instinctif, non élaboré suivant une construction écrite et
réfléchie, mêlant empirisme et procédés issus de la musique savante. Le nom de
musique « underground » peut aussi parfois leur être attribué car,
sans être affiliée au corps de la musique contemporaine, elle est tout aussi
méconnue du grand public. Cette musique, prenant la place qu’avait la musique
classique, moins facilement manipulable, fleurit maintenant dans une petite
partie du milieu artistique, se fondant assez souvent dans les arts multimédia.
Mais elle se trouve aussi, au même titre que la musique contemporaine, noyée dans
une autre musique, bien plus simple, bien plus commerciale et ne faisant pas
appel à la même nécessité expressive (particulièrement le non détachement aux
rythmes les plus triviaux de la danse), une musique qualifiable de
« nouvellement électronique », qui semble plus intéressée par
l’impact de popularité, la « coolitude » du moment, la
« déchirure transpondentielle », le soucis de trouver le créneau
« marketing » vacant, l’adulation de sa personne, que par ce qu’il y
aurait à transmettre dans chaque acte créatif. Tout cet amalgame, issu de
« l’outil du siècle », fait ainsi disparaître le compositeur de
musique savante, qu’il écrive pour instruments ou pour dispositif acousmatique.
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… cette seconde partie est à nuancer … et à compléter
… des réponses, apportées par des non habitués de la musique classique ou de
son expression contemporaine, seraient les bienvenues… ainsi que celles de
personnes évoluant dans d’autres arts et dans le milieu de la musique
électronique.
Ludovic Laurent-Testoris